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Une Brutalité pastorale
Une Brutalité pastorale
Une Brutalité pastorale © LFKs


LE SUJET

Une Brutalité pastorale s'inscrit dans une longue série de travaux conduits par les artistes pluridisciplinaires de LFKs (La fabriks) au cours des dix dernières années. Parce que la "fiction vraie" (selon l'expression de Mircea Eliade) de la métamorphose d'Actéon est une intarissable source d'interrogations sur les limites du regard et du langage, et parce que toute réflexion sur l'art obligatoirement remonte à cette source, LFKs en a fait le motif unique de ses expériences. Le groupe, peu à peu, explore toutes les œuvres, toutes les philosophies savantes, toutes les gnoséologies, mais aussi toutes les coutumes et croyances populaires que le mythe d'Actéon a suscitées au cours de l'histoire, et en nourrit ses propres créations. La découverte des travaux de Claude Gaignebet, en 1999, mettant en lumière l'étrange emploi que fit Rabelais des chiens d'Actéon dans Pantagruel, a incité les artistes de LFKs à imaginer un pays, une culture et un peuple qui serait descendant des cinquante chiens dévoreurs d'Actéon, et à développer, sous de nombreuses formes, les motifs traditionnels et contemporains fictifs de l'imaginaire collectif d'une nation tragique et frustre de paysans chasseurs petit-fils de chiens. Tout l'art de ce misérable peuple issu d'une horde canine est orienté vers une impossible quête de ses origines ; il s'agit de représenter toujours le crime fondateur : la tragédie du maître qui avait vécu l'expérience ultime de l'être en découvrant la pensée pure et que les ancêtres ont mangé sans qu'il n'en ait rien pu dire. À travers les multiples formes de l'art qu'ils manient, les homme-chiens du Vøspáza - c'est le nom du pays forestier qu'ils habitent - représentent et refont le chemin initiatique d'Actéon chassant Artémis. Les Vøspázars cherchent ainsi et en eux-mêmes à comprendre, à nommer et "maîtriser" ce que le chasseur a vu, sans doute pour pouvoir finalement le digérer, au sens littéral.

Régulièrement désormais, les artistes de LFKs se métamorphosent en chiens, deviennent tous d'anonymes Vøspázars et interrogent sous cette forme un nouvel aspect de la tragédie d'Actéon. Leurs créations, mariant alors les références, les signes et les traits de la culture humaniste la plus savante à la grossière citation de traditions festives populaires parmi les plus rustres, sont un inextricable mélange de gravité et de ridicule, de subtilité et de grotesque. Dans le cadre précis d'Une Brutalité pastorale, c'est l'emploi que fit du mythe le philosophe de la Renaissance Giordano Bruno dans son livre majeur, Des Fureurs héroïques (DE GL'HEROICI FVRORI. Paris, 1585), et, plus généralement, dans la construction de sa pensée mystique, baignée de tradition hermétique, que LFKs met en valeur. Pour Bruno, Artémis, déesse de la nature intacte, représente la sphère de la pensée pure. Actéon est le philosophe, le penseur (G. Bruno lui-même) à la recherche de l'intellectualisme absolu et qui, le découvrant au bout de la traque qu'il lance à Artémis, s'en trouve lui-même divinisé et fusionne avec la nature (sous la forme d'un cerf). Les cinquante chiens du chasseur sont alors ses pensées, dans lesquelles il disparaît finalement.